Article N° 8235

PHARMACIENS - PSYCHIATRES - PATIENTS

Santé mentale : pourquoi l’alliance entre psychiatres et pharmaciens devient indispensable?

Abderrahim Derraji - 01 décembre 2025 18:26

La 34e édition du Congrès de l’Association marocaine des psychiatres d’exercice privé (AMPEP), tenue du 27 au 30 novembre à Taghazout, a offert un programme dense, axé principalement sur la sexualité à travers les âges. Pourtant, c’est lors de la dernière conférence, consacrée à l’alliance entre psychiatres et pharmaciens pour la promotion de la santé mentale, que s’est cristallisé un débat fondamental pour l’avenir du système de soins.

Autour de la table : psychiatres, pharmaciens enseignants, officinaux et représentants de l’AMMPS. Tous ont tenté de démêler un écheveau de contraintes professionnelles, de responsabilités partagées et de frustrations souvent tues. Cette rencontre a aussi permis de mesurer l’ampleur des efforts déployés par l’Agence du médicament (AMMPS), souvent mise sous pression, pour répondre à des pénuries structurelles qui touchent la quasi-totalité des pays. Des pénuries dont les causes sont multifactorielles : dépendance industrielle, tensions internationales, difficultés d’approvisionnement en matières premières ou encore ruptures logistiques. Mais un point a fait l’unanimité : l’obsolescence criante des textes qui régissent les psychotropes. Des dispositions anciennes, inadaptées, qui peuvent faire basculer, en un clin d’œil, le pharmacien du statut de professionnel de santé respectable à celui d’un trafiquant de «drogues». Les appréhensions des officinaux créent un climat de suspicion qui peut priver des malades réellement souffrants de leurs traitements, avec les conséquences que l’on connaît : décompensation, isolement, mise en danger du patient et de son entourage. Le droit, qui devait protéger, alourdit ici la stigmatisation, et ce sont les patients qui en paient le prix fort.

 

Cette initiative, inédite par son ton et sa franchise, marque le début d’un processus nécessaire consistant à poser les bases d’une interprofessionnalité effective, celle qui a déjà démontré son apport dans l’amélioration de la prise en charge des maladies chroniques. Car en santé mentale, plus qu’ailleurs, les approches fragmentées et cloisonnées ne fonctionnent plus. Le pharmacien est souvent le premier interlocuteur, le psychiatre le garant du diagnostic et de la stratégie thérapeutique : les deux doivent coopérer, se connaître et surtout se comprendre pour mieux communiquer.

Encore faut-il répondre à quelques prérequis. La formation, d’abord. Celle-ci doit être actualisée, harmonisée, construite sur des standards partagés. Ensuite, il devient urgent de mettre en place des dispositifs permettant de tracer les échanges entre psychiatres et pharmaciens, de suivre la consommation de molécules sensibles, d’identifier plus rapidement les usages détournés. Le numérique peut apporter des solutions simples, encore faut-il une volonté institutionnelle claire.

Les participants au congrès ont également insisté sur un autre fléau : les ruptures d’approvisionnement touchant des spécialités essentielles, parfois sans alternative thérapeutique, comme c’est le cas pour le lithium. Comment assurer une continuité de soins quand la molécule de référence disparaît des rayons ? Là encore, seule une collaboration étroite et transparente entre tous les intervenants peut permettre d’anticiper, de hiérarchiser les besoins, de proposer des stratégies efficientes pour garantir la continuité des soins.

Les nombreuses recommandations formulées lors de cette rencontre ne doivent pas rester lettre morte. Il est temps d’adopter une approche qui rapproche réellement pharmaciens et psychiatres, qui donne du temps à l’analyse collective et qui permette d’identifier, sans tabou, les leviers de synergie. Car, au-delà des contraintes réglementaires ou logistiques, une seule priorité devrait les guider : l’intérêt du patient, sa sécurité, sa dignité et son accès continu aux soins.

L’interprofessionnalité n’est plus une option. C’est une nécessité. Une urgence, même. Et ce congrès l’a rappelé avec force.

Source : PharmaNEWS